Paroles d'experts : Chantal Stouffs répond à nos questions
Chantal Stouffs est maitre-assistante à la H.E. Albert Jacquard, formatrice au Centre d'Autoformation et de Formation continuée de l'enseignement organisé par la Communauté française, co-auteur des manuels "La vie des hommes et des femmes d'autrefois à aujourd'hui" (éd. Labor et Averbode).
Dans les faits, l’histoire semble le parent pauvre de l’école fondamentale : les enseignants y consacrent peu de temps et semblent plutôt mal à l’aise face à l’enseignement de cette discipline. A votre avis, comment peut-on expliquer cette situation ?
Plusieurs hypothèses peuvent être émises :
- la priorité donnée aux "savoirs de base" comme si les compétences exercées dans le cadre du cours d'histoire l'étaient sans utiliser les compétences transversales du français;
- la crainte de ne pas maîtriser la matière et donc d'être source d'erreurs (c'est souvent l'argument de nos normaliens);
- la pauvreté des BCD en documents utiles au cours d'histoire
- sans oublier le fait que certain(e)s enseignant(e)s disent « ne pas aimer » cette discipline.

L’histoire est étrangère aux enfants : elle ne fait pas vraiment partie de leur univers proche ; c’est une donnée culturelle à construire, le plus souvent abstraite. Comment justifier, à leurs yeux, la nécessité et l’intérêt d’apprendre le passé ?

Je m’étonne de l’affirmation « L’histoire est étrangère aux enfants » puisque chacun est issu d’une histoire familiale et chacun d’entre eux a son histoire aussi courte soit-elle. Très tôt l’enfant demande qu’on lui raconte son histoire et interroge ses parents pour savoir s’ils ont vécu les mêmes événements ou de la même façon que lui-qu’elle.
Avant de justifier la nécessité et l'intérêt du cours, il me semble essentiel de faire prendre conscience aux élèves qu'ils vivent dans l'histoire, qu'ils sont entourés de traces du passé et que celles-ci conditionnent en partie leur vie.  En partant de problématiques d'aujourd'hui et en recherchant des solutions, ils pourront s'appuyer sur des réponses trouvées antérieurement (qu’elles aient été efficaces ou non)  pour les mêmes problématiques.
Je ne vois pas pourquoi il faudrait spécifiquement « justifier » la présence de cette discipline dans un cursus scolaire plutôt qu’une autre. Paradoxalement, cette question qui ne se posait pas lorsque le cours d’histoire était au service du nationalisme, émerge alors que l’on a pris conscience qu’elle était nécessaire à une participation citoyenne réfléchie. 

Selon vous, quels sont les savoirs historiques minima que tout enfant devrait maîtriser en quittant l’école fondamentale ?
Les concepts d'antériorité/postériorité/simultanéité, de succession/alternance et le vocabulaire en lien avec ces concepts (connecteurs logiques...) 
la ligne du temps comme représentation conventionnelle
les périodes conventionnelles de la ligne du temps des historiens
les caractéristiques principales du mode de vie des gens durant chacune des périodes (ce qui se maintient, ce qui change) sans tomber dans les clichés des minorités (vie du seigneur au Moyen Age par ex  alors que la population était rurale et que s’organisait une nouvelle catégorie sociale dans les villes).

Aborder l’histoire à l’école primaire, cela ne devrait-il pas se faire principalement par le biais de l’histoire locale, plus proche et plus accessible ?
C'est ce que préconisent les Socles de compétences.  Nous avons la chance de vivre dans un pays riche en traces historiques. Il faut non seulement partir de l’histoire locale mais de l’actualité. Ne pas oublier que beaucoup d’enfants n’ont pas leurs racines dans la localité où ils vivent, vont à l’école.
Travailler l’histoire peut se faire aussi dans le cadre d’une éducation aux médias . En effet, les enfants sont confrontés sans cesse (BD, dessins animés, films, publicités ...) à des représentions, des mises en scènes faisant appel à l’histoire. S’interroger sur la part du réel et de l’imaginaire dans ces productions médiatiques est tout autant pertinent pour les enfants.  

La ligne du temps (ou frise historique) semble l’outil incontournable pour enseigner l’histoire. Qu’en pensez-vous ?
La ligne du temps concrétise la représentation culturelle que nous avons du temps mais aussi les concepts d'antériorité/postériorité/simultanéité.
Elle permet de montrer l’arbitraire des dénominations choisies, la disparité des durées des différentes périodes…. Il est important de ne pas mélanger histoire et math. Les enfants n’ont pas à construire la ligne du temps. Par contre, elle ne devrait pas être utilisée sans supports de représentation du temps plus « parlant » , montrant davantage le lien espace-temps comme des annuaires téléphoniques dans lesquels les enfants placeraient les repères des périodes en s’appuyant sur une page =1 an ou 10 ans par exemple, ou les escaliers de l’école où 1 marche = 1 siècle …
Pour que les repères puissent s’installer, il faudrait respecter un code couleur commun aux classes.
La représentation linéaire du temps devrait être installée dès la maternelle où trop souvent, on s’appuie sur une représentation cyclique. Il y a chaque semaine un lundi mais ce n’est jamais le même qui revient, idem pour les mois…ou les heures. Ces repères, mis en place sur base de l’observation des cycles de la nature, facilitaient la communication entre les personnes mais n’ont de sens que pour les adultes qui ont vécu plusieurs lunaisons, plusieurs saisons…
J’en profite pour rappeler qu’en mêlant, au cours d’une même activité le temps chronologie et le temps météo, les enfants éprouvent des difficultés à identifier ces réalités distinctes.      

Contrairement aux domaines de l’éveil scientifique ou géographique, où l’on a davantage matière à expérimenter avec les élèves, les leçons d’histoire se basent le plus souvent sur des lectures de textes. Finalement, les difficultés rencontrées par les élèves en histoire ne seraient-elles pas d’abord des difficultés en lecture ?
Effectivement, les leçons d'histoire traditionnelles étaient basées sur la lecture de textes qui a pris la relève de l'histoire “récit oral”.  Depuis, la didactique de l’histoire lance les enfants dans des enquêtes où ils doivent, tout comme en sciences émettre des hypothèses, confronter des données… partant de lectures d’images tout autant que de lectures de textes sans oublier que dans les musées et autres archéosites les enfants sont très actifs dans les ateliers. A Malagne, par exemple, ils teignent des tissus à partir de plantes, fabriquent du pain…  à Ramioul, ils s’essaient au lancer de sagaie à l’aide d’un propulseur…
L’intérêt du cours d’histoire est que l’on ose désormais laisser des points d’interrogation à l’issue d’une recherche… ce qu’hélas on n’ose toujours pas faire en sciences ….(alors que c’est la réalité des scientifiques … chercheurs).
Rappelons aussi les recherches de de Vecchi qui ont démontré à quel point les représentations scientifiques des enfants puis des adolescents évoluent peu malgré les cours de sciences parce que le vécu est plus prégnant.

Que pensez-vous des manuels en histoire ? Sont-ils de bons outils ? A quelle(s) condition(s) ?
Difficile de parler en vrac des manuels quelle que soit la discipline. Plus que pour les autres, il faut les analyser sur le plan des valeurs véhiculées. Cela peut se faire à la simple lecture du sommaire.
Aujourd’hui, un autre critère est la conformité aux Socles.
Les recherches évoluent beaucoup, il faut donc vérifier aussi l’ajustement des contenus.

Selon vous, peut-on dégager une progression logique dans l’enseignement de l’histoire à l’école fondamentale ? Si oui, cette progression doit-elle être chronologique (en abordant, par exemple, les périodes historiques les unes à la suite des autres dans l’ordre) ?
Sauf, événement d’actualité exceptionnel, le temps historique devrait être réservé pour le 4ème cycle.
Il ne me semble pas qu’une progression chronologique soit pertinente. Je pense qu’il faut s’appuyer sur des activités qui ont du sens pour les enfants.
Par exemple :  on ne peut affréter un car pour une seule classe étant donné le coût du déplacement, pourquoi ne pas envisager une visite d’un archéosite par les 5
ème et les 6ème en même temps. Si les savoirs sont replacés sur la ligne du temps, cela ne pose pas de problème.

Chantal Stouffs,
Le 29/09/2009